Des personnages attachants et pittoresques peuplent les 12 nouvelles de ce recueil. Ils nous content la solitude, l’amour, les peines d’enfance et les soubresauts d’une société en mal de tolérance, mais aussi nos rêves et nos émerveillements, dans un style imagé, tout en rythmes…
Les nouvelles : l’amnésique du train jaune ; Jérôme et son chien à pois ; Ilhan le chanteur sans dents ; un peintre et le vide-art ; l’alexandrin au top 14 ; un humain en quête d’éternité ; des retraités à l’heure des sages ; un ado sauvé par l’écrit ; blanc qui pleure, noir qui rit ; un chevreau pour destin d’un enfant ; des gémeaux épris d’une factrice ; le pardon de Clément contre rancour et souffrance. Tout ce monde disparate évolue au sein de plusieurs villes catalanes : Perpignan, Laroque des Albères, Vingrau, Lamanère, Maury, Thuir, Bages, la Tour de Carol, Cabestany, Prades, Saleilles, Palau-del-Vidre, servant d’écrins naturels aux émotions universelles qui lient les humains. A tout le moins le devraient-elles…
Suite à une constante exploration des différents univers artistiques, cinéma, peinture, musique, poésie, l’auteur, Alexis Alatirseff, nous propose ici, un recueil de 12 nouvelles, intitulé : Perdre la tramontane, après la parution d’un premier roman policier : Perpinyà rouge sang. (Extrait de la préface)
Comment après un polar, naît l’idée d’un recueil de nouvelles aux titres pour le moins cocasses ?
Tout simplement en se pliant à la joie de conter des histoires de notre temps en pleine lumière de nos vies, à la différence du polar qui véhicule presque toujours quelques noirceurs d’écriture, à extraire comme une sorte de catharsis mêlée de plaisir.
Mais pour avoir une approche sensible de ces 12 nouvelles, il me semble que de courts extraits suivis d’idées sur la thématique de chacune, est la solution idéale pour les appréhender et, de cette découverte, s’abandonner au désir de les lire toutes. C’est bien là mon souhait le plus entier.
Perdre la Tramontane
Entrée en gare de Latour-de-Carol. C’est à cet instant précis que les choses allaient dramatiquement se compliquer. A la descente du marche-pied de la voiture ouverte du train jaune, la jambe dérapa sur une boule de glace au parfum non identifié, étalée sur le quai. L’homme d’une cinquantaine d’années, était parti à la renverse, sa tête heurtant violemment la première marche. Un léger rebond et il s’immobilisa face contre béton. Une jeune femme avait suivi toute la scène, bouche ouverte, sans émettre aucun son. D’autres personnes s’approchèrent du corps inerte…
Cette expression française qui est le titre donné au recueil de nouvelles dans son ensemble, est le plus souvent utilisée pour décrire ceux qui perdent leur présence d’esprit dans les situations difficiles. Au train où vont les choses, on peut parfois perdre le nord !
…
Au fouillis des arbres, une percée du jour laissait entrevoir le plan gris cendré de la mer. Cela ressemblait à une brume matinale. Déjà, des goélands battaient l’air avec vigueur. Une bouilloire alimentée par batterie, sifflait en relâchant un peu de vapeur, tandis que du café moulu, au creux d’un récipient de verre, attendait que l’eau du dessus, à gros bouillons, vienne colorer et déclencher le rite matinal du petit déjeuner de son altesse sérénissime le prince catalan, Baptiste le démuni. Le haut du crâne ébouriffé, Babar s’extirpa de sa couette en soufflant et inspirant fort par le nez, pour mieux s’emplir de l’odeur de café noir. Il enfila des sabots, coula sa djellaba par dessus sa tête et sortit uriner au fond du jardin. Le chien du voisin, l’ayant aperçu, le salua d’amples mouvements de queue. La répétition générale se poursuivait dans l’ordre défini par la nature.
Il est des marginaux bien plus proches d’une authentique philosophie de la vie que maints serviteurs zélés au service d’un ordre mondial. La mort attendait Baptiste, non pas à Samarcande, mais à Sainte Marie.
Maury, tuerie te salutant
Mathias savait pertinemment qu’il allait transgresser une loi plus que fraternelle, briser un lien plus dense que celui qui lie l’aîné au cadet. La trahison qu’il fomentait visait au cœur son double ressemblant, son frère jumeau, le doux Alban. Ce premier né avait raflé toutes les faveurs des fées présentes à hauteur de berceau. Mathias n’en fut pas moins démuni, mais point nanti de celles qui enchantent le rapport aux autres…
Portons-nous en nous un double, enclin au comportement trouble, qui pourrait s’éveiller et nous entrainer à quelque faiblesse coupable?
Sans dents de solitude
L’instant du concert s’annonçait imminent. Le public, très disséminé s’avançait par petits groupes de deux ou trois personnes, le regard allant des uns aux autres sans grande attention particulière. En fait, c’était l’idée rituelle que s’en faisait Ilhan Nosim lorsqu’il disposait son attirail de sonorisation au coin des rues Mailly et de l’Ange, chaque samedi matin. Habituellement bougon, le début de week-end l’affranchissait d’une moue rébarbative et il affichait alors une sorte de sourire courtois qui dévoilait la trouée franche du maxillaire inférieur. Il lui manquait les quatre incisives…
Ce titre clin d’œil est ma façon de rendre hommage au romancier colombien Gabriel Garcia Marquez. La musique étant bien le seul langage au monde compris de tous, Dieu, s’il existe, doit loger au fin fond de l’univers, et jouer un bon vieux blues, en attendant que vous ou moi prenions enfin un sacré chorus à décoiffer tous les neurasthéniques encore en activité !
Les lunettes de Saleilles
Naïa venait de sécher une dernière larme. Elle se sentait profondément blessée car tous ses camarades blancs de la classe de CM2 lui donnaient tort. Personne n’avait fait l’effort d’entendre son raisonnement. Dès la fin du cours, elle avait aussitôt quitté l’école Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, rue des Archers à Perpignan, profitant du portail entrouvert à l’arrivée de parents d’élèves, et rentrait en bus à Saleilles. Ses parents et ses cinq frères et sœurs occupaient une maison rue Aristide Maillol…
Titre cocasse et enfantin sur le savoureux, autant que délicat apprentissage, parsemé d’embûches, de la langue française par les plus démunis d’entre nous…ceux de l’autre rive. Ô Bages ô triste espoir ô ivresse infinie N’ai-je donc rien de plus que ce choix de l’oubli.
Ô Bages ô triste espoir ô ivresse infinie N’ai-je donc rien de plus que ce choix de l’oubli.
Le sable crisse sous ses pas. Il porte un macaron à sa bouche. Tête nue, visage laiteux comme privé de lumière, Clément, vingt quatre ans, revient sur les lieux de son enfance, l’extravagant quartier du Racou. Devant lui, la villa vieillotte exhibe un passé assoupi, bercé par le chant plaintif des goélands. Les touristes l’ont délaissé après la crise de l’Europe. Quinze ans de silence depuis…
Il n’est pas fou de vouloir et d’entendre au fond du gouffre un léger souffle qui murmure que nous attend, comme un soleil impensable, le bonheur.* (phrase extraite du livre « Le murmure des fantômes » de Boris Cyrulnik.)
L’art et Lamanère
En matière de cordialité l’éminent critique d’art Dominique Dange, qui sévissait au sein de la non moins prestigieuse revue Verv’Art, était considéré comme un pingre notoire. Pour Malinski, avoir donné son accord à la revue n’impliquait pas que cela soit Dange qui vienne relever ses propos sur sa création ou ses œuvres. D’autant que son intérêt très marqué pour ce qui était l’art contemporain, ne le prédisposait pas à interviewer un peintre s’adonnant à l’hyperréalisme ! Cette rencontre l’amusait et l’intriguait. Quelles étaient les véritables raisons de ce face à face ?…
L’art marchand, bavard occupe tout l’espace, de glose et de théories, et prête une oreille intéressée aux fluctuations des modes. La parole de l’artiste est murmurante, constituée de patience nécessaire, œuvre après œuvre. Il lui est indispensable de s’appuyer sur la temporalité pour la rendre vivante et signifiante.
Vingrau morne plaine
C’était là. C’était le grand jour. L’Union Sportive Tautavel-Vingrau allait disputer ce match qui la conduirait peut-être au titre de champion de France de troisième série. Ce n’était plus un rêve… La nouvelle avait fusé, inondant tout le hameau d’une fierté nouvelle ; un grand quotidien sportif parisien avait dépêché un éminent journaliste spécialiste du rugby international pour couvrir cette catégorie régionale du Languedoc-Roussillon. C’était assez rare pour qu’on puisse s’enorgueillir sans retenue de ce signe du destin !…
Les fameux vers Waterlo, Morne plaine…du poème Expiation de Victor Hugo, donnent ici le titre revu et adapté, à cette nouvelle. Joies simples d’un simple jeu…
Un galet posé sur la mer
Le matin catalan. Une secrète raison d’y vivre. Par dessus les pins, au ras d’Argeles-sur-mer, la boule rouge est à l’heure comme d’habitude. Prenant appui sur un frêle rideau d’arbres, la voilà libre maintenant dans ce ciel transparent où grouille toute une prolifération invisible d’insectes… Au-dessus, à quelques centaines de mètres, posé à même la garrigue : le mas. La vieille ferme enveloppée à cette heure matinale, par des bêlements de chèvre. Depuis sept ans, le petit Rémi y vit seul avec sa grand-mère. Ses parents sont morts. Son père d’un accident de chasse. Sa mère au cours d’une crue torrentielle d’automne. Palau del Vidre est visible derrière la haie des platanes. Rémi n’aime pas ce village…
Ce titre poétique est une sorte d’allégorie traduisant par l’image notre condition humaine. Nous sommes tous des galets posés sur la mer, appelés dès la naissance à être roulés, érodés, au fond de la grande mer nourricière pour réapparaître par milliards sur le rivage, tous différents face aux fascinantes interrogations du monde.
Le rock des Albères
Irénée Cabré est mort cette nuit. Mon père venait de me l’apprendre sur le pas de la porte, le visage défait et les paupières rouge-chagrin avant de me serrer dans ses bras et de m’inviter à entrer. Son grand ami et voisin Irénée s’était éclipsé durant son sommeil, après un ultime battement de cœur, dans sa maison de plain-pied de l’autre côté de la rue qui, sur l’heure incitait au silence, toutes fenêtres fermées…
Jeu de mots tiré de ce petit village catalan, Laroque des Albères, situé au pied du massif des Albères dans le Languedoc-Roussillon. Où comment le souvenir exprime à lui seul une part d’éternité.
Le dur à Thuir
Petit à petit je délaissais la tonalité du journal intime pour utiliser un mélange des genres comprenant l’humour et l’ironie bien souvent grinçante, voire acerbe. Celui qui en faisait les frais était mon père psychologue que seul son diplôme universitaire permettait d’authentifier. Uniquement ! Je lui avais confié un jour que je m’adonnais à cette activité et à son grand dam il l’avait aussitôt qualifiée avec son élégance habituelle de masturbatoire. Définitivement à mes yeux c’était un être tyrannique, fat et oublieux du rôle qu’il aurait dû endosser auprès de moi...
Le titre ici est similaire à une expression populaire Le dur à cuire, légitimement appropriée ! De Sophocle à Freud, en passant par Thuir.
Les vieux sont tombés sur la Têt
Aujourd’hui, Béatriz Ogarte était de permanence rue San Juan de Porto Rico à Prades, au siège de l’association La Têt sur les épaules. Avocate et nouvellement retraitée, elle s’était associée à deux autres inactifs de fraîche fournée, Jean Upaavega sociologue d’origine polynésienne et Françoise Aprey infirmière libérale, dans l’idée de créer une structure associative ouverte à tous les retraités désireux de mener une réflexion sur tous les problèmes économiques, financiers, écologiques, culturels et éducatifs, afin de trouver ensemble des solutions de bon sens, pour mettre un terme irréversible à toute cette dérive de l’équilibre et de l’unité nationale mis à mal par un ultralibéralisme forcené. Tel était leur projet d’envergure à ce jour…
Quand les porteurs d’âge décident de prendre en mains leur destin, par l’analyse radicale des conditions de leur vie démocratique, en se rendant à pied de Prades à Perpignan, foule immense, en s’arrêtant à chaque village de la plaine du Roussillon pour y débattre des thèmes que soulève la terreur mondialiste. Utopie ou vrai pouvoir populaire, lucide et responsable.